INSERT-INFO

No. 9 - 26 août 2001

30 décembre 2002: Mise à jour de cet article, tout en bas de la page.

5 juillet 2006: Mise à jour de cet article, encore plus bas.


Nouvelle loi sur les sols,

Une situation floue

En Espagne, le prix des terrains à bâtir n'a cessé de prendre l'ascenseur au cours des dernières années. Le Parti Populaire (PP) actuellement (26 août 2001) au pouvoir entend lutter contre cette inflation par une libéralisation très généreuse de l'usage du sol. Mais la mise en oeuvre ne se passe pas sans problèmes, et en pose aux étrangers désireux d'acquérir un bien dans des régions peu habituées à recevoir des touristes: les moins chères.

"Dorénavant, il faut que n'importe qui puisse construire presque n'importe quoi, à peu près n'importe où ". C'est, très grossièrement résumée, la lumineuse idée qu'ont eue les responsables du PP pour augmenter l'offre des terrains constructibles en Espagne: libéraliser la construction, supprimer les zones agricoles et n'interdire l'édification que dans des régions vraiment problématiques, soit parce que dangereuses, soit parce que dignes d'une protection écologique importante... souvent dictée par Bruxelles.

J.G. En théorie, une offre abondante de terrains constructibles doit faire baisser leurs prix. Au cours des cinq dernières années, ceux-ci ont en effet plus que doublé (triplé par endroits), poussés par une spéculation immobilière alimentée par le proche passage à l'euro. Résultat: les Espagnols, traditionnellement propriétaires à bas prix, n'arrivent plus à se payer, respectivement à payer à leurs enfants (autre coutume) le logement qui leur est nécessaire. Et ce sont aussi des électeurs.


De l'immobilier mobile

Les choses sont compliquées du fait que la dernière "Loi sur les sols" (juillet 2001) est une remouture de la version d'avril 1998, succédant elle-même à la version de 1995. C'est du droit immobilier, mais pas immobiliste.

Les réactions sont de deux types: les étrangers de toutes provenances, et forcément plus légalistes que les Espagnols (en ce domaine, il est difficile de l'être moins), se plaignent d'une certaine insécurité juridique; on les comprend.

Les autochtones par contre, sont en maints endroits habitués à faire d'abord, puis à demander la permission ensuite, qui leur est rarement refusée; les va-et-vient juridiques actuels ne font que les conforter dans leur impression que de toutes façons, ce qui n'est pas permis aujourd'hui le sera demain, respectivement que ce qui est obligatoire pourrait devenir facultatif, et vice-versa, mais toujours au bénéfice de la situation acquise.

Des tribunaux…

Pour tout arranger, le gouvernement s'est fait taper sur les doigts en 1998 par le Tribunal Constitutionnel, qui a jugé que Madrid se montrait trop autoritaire avec les Provinces et Communautés autonomes: celles-ci doivent être libres de rédiger leurs propres lois sur l'utilisation des sols… en respect de la loi centrale.

J.G. Lors de la rédaction de ces lignes, le PP est majoritaire dans la plupart des provinces, ce qui devrait favoriser une certaine harmonie entre le pouvoir central et les provinces… en principe. Car c'est fou ce qu'un député à l'assemblée provinciale peut avoir une vision différente de celle de son collègue au parlement national. L'un reprochant à l'autre de ne pas regarder la réalité du terrain d'assez près, et l'autre rétorquant que le premier manque de perspective globale.

…et des prérogatives locales

En fin de compte, chacun balayant devant sa porte et l'espace n'étant pas vraiment rare en Espagne, les municipalités ont toujours été les pourvoyeuses les plus attentives de dispositions sur l'occupation des sols. C'est d'ailleurs à elles qu'incombe l'établissement des fameux P.G.O.U. (Plan General de Ordenación Urbana, en français "Plans d'occupation des sols" ou "Plans de zone"). Or depuis 1998 (voir INSERT INFO no. 6), elles aussi commencent à surveiller de près la frontière de leurs droits en la matière. Et toutes les mairies ne sont pas affiliées au PP, loin s'en faut. Enfin le tableau ne serait pas complet si on oubliait les nombreuses pressions locales, parfois couronnées de succès, et les groupuscules écologistes très minoritaires, mais tout aussi actifs.

La loi, en théorie

En théorie, les dispositions légales en vigueur sont les suivantes: il y a le sol construit, et le sol non constructible pour des raisons précises: parcs naturels, régions dangereuses; ces raisons peuvent être attaquées en justice. Tout sol qui n'entre pas dans l'une de ces deux catégories est réputé constructible.

La loi en pratique: le cas Lorca

Cette commune de la province de Murcie répartit ses 80'000 habitants dans un centre urbain guère plus grand que Morges ou Evian, d'une part, et sur plus de 1800 kilomètres carrés de terres en majeure partie "agricoles", d'autre part. Comme la plupart des municipalités espagnoles, celle-ci avait son plan de zones: le centre urbain (et divers hameaux) constructible (et construit), un petit dixième dit "zone de protection écologique spéciale" (surtout des rivages), et le reste non constructible au motif qu'il s'agit de zones agricoles.

Sur ces dernières, on pouvait toutefois édifier des hangars d'exploitation, à concurrence de trois pour cent de la surface exploitée, et pourvu que cette surface soit d'au moins dix mille mètres carrés (ici), ou cinq mille mètres carrés (là), voire deux mille cinq cents (ailleurs).

Le retour de France

Lorca a longtemps été une région d'émigration, traditionnellement en direction des Alpes-Maritimes. "Fortune" faite, ou à la faveur d'un héritage, beaucoup de ces émigrants sont rentrés au cours des dernières années, provoquant un besoin relativement important de logements. Le terrain constructible venant à manquer, il restait les hangars que les migrants avaient laissé derrière eux. Avec le temps, ceux-ci se sont aujourd'hui convertis en habitations.

Des hangars de luxe

Intérieur d'une confortable villa construite avec un permis d'exploitaiton agricole

D'autres ont carrément été démolis, au bénéfice d'un permis de reconstruction, laissant en fait la place à des hangars tout neufs et à faire pâlir d'envie n'importe quel agriculteur de Hollande ou du nord de l'Allemagne: hangars agricoles avec trois chambres à coucher, deux salles de bain, salon, cheminée, et bien sûr air conditionné. Une piscine complète parfois l'ensemble (après une rude journée de labeur, il est normal que le paysan ait envie de faire trempette), ainsi qu'un garage accueillant le tracteur, de cinq places et capable de dépasser les 140 kilomètres heures.

Entre gens de bonne compagnie, et histoire sans doute de ne pas surcharger de travail les fonctionnaires communaux, tout cela se passe de manière harmonieuse. Les rares contrôles sur le terrain sont la plupart du temps menés sans descendre de voiture: normal, on vous l'a dit, la commune est grande.

Cette "politique" ne fait que des heureux: la région garde globalement sa vocation agricole, et tout le monde est logé.

Un peu d'ordre

Pour des raisons peu claires, il semble que le gouvernement de la province de Murcie ait décidé de profiter des toutes dernières dispositions légales venues de Madrid pour mettre au pas cette commune qui prend un peu trop ses aises.

Murcie a donc décidé qu'en attendant que Lorca définisse de façon claire et conforme à la réalité quelles sont les régions de protection naturelle, et quelles zones méritent une protection agricole spéciale, plus rien de ce qui est défini à Lorca comme "zone agricole" ne sera constructible en logement, à moins que la parcelle mesure au moins vingt mille mètres carrés. Rassurez-vous, les hangars restent autorisés, et agrandissables, même sur des parcelles plus petites.

Des méfiants

Ces mesures ne dérangent pas trop les Lorquins, mais bien les étrangers désireux de s'établir sur place: on est à trente kilomètres de la mer, et la terre n'est pas chère, à condition bien sûr de ne pas vouloir y vivre de l'agriculture. Ces étrangers sont des compliqués: ils souhaiteraient obtenir une plus grande sécurité juridique avant de s'installer dans leurs cabanes agricoles. Bref, des gens qui ne comprennent rien aux choses de la terre. Sensible à cette perspective de recettes fiscales nouvelles, la municipalité locale est donc en train de pédaler pour établir un nouveau plan de zones, propre à satisfaire le gouvernement provincial.

J.G.


Pour y voir clair

Les problèmes exposés ci-dessus concernent surtout des régions sans tradition touristique. Dans ces parages, les gens ont toujours réglés leurs problèmes entre eux, et en confiance. Il règne d'ailleurs une forte incompréhension entre les autochtones et les nouveaux arrivants: les premiers ne comprennent ni la méfiance ni le souci de formalisme manifestés par les seconds, et se sentent incompris, voire relégués au rang de paysans de seconde zone. Et les étrangers ont peur de s'aventurer sur des chemins dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils ne sont pas éclairés par les lumières de la loi.

Un petit délai

"Oui, nous sommes un peu en retard sur vous, mais dans cinquante ans, ces problèmes seront réglés" m'a affirmé notre correspondant local. Moi, je veux bien, mais il est beaucoup de gens dont les problèmes seront réglés avant. En attendant, essayons d'y voir un peu plus clair.

Une évolution libérale

L'ambiance actuelle, tant à Madrid que sur la Costa Blanca, Murcie incluse, est à une franche libéralisation de l'usage de la terre, et les différents qui peuvent exister entre le pouvoir régional et les municipalités n'y changera rien. S'agissant de Murcie, selon le journal régional "La Verdad", 2300 hectares de terres essentiellement littorales ont été déprotégées (et donc rendues constructibles) à l'occasion de la nouvelle loi.

Evaluer le risque

J.G.

Le temps est au beau fixe pour les promoteurs, capables de prendre des risques calculés sur les terres qu'ils convoitent. Le particulier peut lui aussi s'aventurer; il doit cependant savoir que le risque zéro n'existe pas. Acheter aujourd'hui une parcelle de dix mille mètres carrés pour cinquante mille euros, et revendre demain cinq parcelles de mille cinq cents mètres pour trente mille euros chacune tout en gardant la sixième, c'est possible, mais…

Mais il faut savoir qu'il y a un risque, celui de se trouver parmi le cinq pour cent de malchanceux qui ne bénéficieront pas des déclassements prévus. D'autre part, celui qui attendra la sécurité juridique complète court aussi le risque de payer beaucoup plus cher son terrain que celui qui n'aura pas attendu.

J. Gaillard


30 décembre 2002: Depuis la rédaction de cet article (août 2001), je suis retourné trois fois à Lorca, la dernière en novembre 2002. Le fameux plan d'occupation des sols qui devait entrer en vigueur début 2003 aura "un peu de retard". On m'a assuré que tout serait en place pour avril ou mai. Moi, "à la louche", j'imagine que la chose pourrait bien durer jusqu'en septembre. J.G.

30 juin 2003: le plan d'occupation des sols est enfin approuvé et disponible, mais je ne l'ai pas encore reçu…

5 juillet 2006: de l'eau a coulé sous les ponts (pas beaucoup, à cause de la sécheresse) et le gouvernement a changé de dirigeants. La nouvelle ministre de l'environnement, Cristina NARBONA, semble décidée à donner à la gestion immobilière une rigueur nouvelle et encore inconnue en Espagne. Les effets de ces décisions ne se sont pas encore fait pleinement ressentir à Lorca.


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